Louis XIV (dit le Roi Soleil ou Louis le Grand)

Antoine Coysevox : Buste de Louis XIV
Magnifié par les uns, décrié par les autres, le règne de Louis XIV (parfois appelé Louis le Grand) est l'un des plus longs de l'histoire de France: cinquante-quatre ans de règne personnel, de 1661 à 1715. Il est identifié à l'apogée de l'absolutisme monarchique, au triomphe du classicisme illustré par Versailles, et au rayonnement de la civilisation française, celle du «Grand Siècle», hors de ses frontières. Pourtant, le «siècle de Louis XIV», qui commença dans les troubles de la Fronde, mêla sans cesse les splendeurs de la gloire du Roi-Soleil aux lourdes misères du peuple. Et la France de Louis le Grand ne se montra pas toujours adaptée aux formidables exigences d'une personnalité dont la politique visait à obtenir l'obéissance à l'intérieur et la suprématie à l'extérieur.

Une naissance attendue
Louis Dieudonné, qui naît le 5 septembre 1638 à Saint-Germain-en-Laye, est désiré depuis longtemps. L'union du roi Louis XIII et de la reine Anne d'Autriche, consacrée en 1615, n'avait en effet toujours pas donné d'héritier au trône de France. Louis n'a pas cinq ans lorsque son père meurt, le 14 mai 1643, quelques mois seulement après le décès du «principal ministre», le cardinal de Richelieu. Anne d'Autriche, devenue régente, fait appel à la collaboration d'un proche du cardinal, Mazarin, le parrain du jeune roi, qui contribue étroitement à son éducation politique.
La période qui s'ouvre en 1643 s'annonce difficile. La France est engagée depuis huit années dans la guerre de Trente Ans - contre l'empire des Habsbourg et contre l'Espagne, toujours menaçante aux frontières. Si les traités de Westphalie mettent fin, en 1648, aux hostilités avec l'Empire, la guerre contre l'Espagne se prolongera encore jusqu'en 1659. Cet engagement voulu par Richelieu exige un gros effort fiscal des Français, qui se montrent récalcitrants, et suppose l'acceptation, difficile, de l'alliance protestante. Les révoltes populaires contre l'impôt grondent toujours lorsque Louis devient roi - sans pouvoir régner, car il est trop jeune -, et le temps de la régence voit les ambitions tumultueuses des grands du royaume se donner libre cours. Dans ce climat de troubles - en particulier à travers les épreuves de la Fronde -, le caractère du jeune roi se forge.
L'éducation du roi
L'éducation du futur Louis XIV n'est pas négligée, même si l'expérience compte parfois plus pour lui que les livres. De sa mère, espagnole, il reçoit le goût d'une certaine magnificence, le sens d'une étiquette rigoureuse, la pratique d'une dévotion appliquée - longtemps conciliée avec les appétits profanes et les plaisirs de la chair. Mazarin lui apprend les intrigues européennes, l'art d'acheter les consciences et de gouverner, le rôle, enfin, des mariages diplomatiques.
Marqué par la Fronde (1648-1652)
Les désordres de la Fronde lui enseignent plus encore: chassé de Paris à dix ans par la Fronde parlementaire, voyageant ensuite dans des provinces, rebelles ou fidèles, il retire de ces épreuves la conviction qu'il faut une autorité monarchique sans partage, d'une part, une méfiance universelle et un goût prononcé de la dissimulation, d'autre part. Quand il peut enfin rentrer à Paris, à l'automne 1652 - il est âgé alors de quatorze ans -, il fait arrêter l'intrigant cardinal de Retz avant même le retour de Mazarin: voilà qui annonce le style de gouvernement autoritaire et déterminé qui sera le sien.
Désireux du pouvoir
Le désir de Louis d'être «en tous points le maître» est soutenu par sa grande puissance de travail et par son excellente résistance physique - qui rappelle à bien des égards la vitalité de son aïeul Henri IV. La haute idée qu'il se fait de sa fonction de roi s'exprime à travers son sens de la maîtrise, sa courtoisie froide et son art de la mise en scène. Soucieux de concentrer tout le pouvoir entre ses mains, il se garde bien de se laisser influencer par ses nombreuses maîtresses - telles Mlle de La Vallière ou Mme de Montespan -, même si Mme de Maintenon, qu'il épouse secrètement en 1683, après la mort de la reine Marie-Thérèse, jouera un rôle discret à la fin de sa vie. De la même façon, il veille à refuser toute charge, tout commandement susceptibles de distinguer vraiment les membres de sa famille, notamment à son frère Philippe (Monsieur), duc d'Orléans, en souvenir sans doute de son oncle, Gaston d'Orléans, éternel comploteur à l'époque de Richelieu et de la Fronde.
Prise en main du royaume
Avant de régner vraiment, de donner la pleine mesure de ses qualités et de son «orgueil pharaonique» (selon l'expression d'E. Lavisse), Louis XIV profite d'une vie de plaisirs et de fêtes. Il laisse le cardinal Mazarin rétablir l'autorité monarchique et consolider la situation extérieure de la France de 1653 à 1661. La paix avec l'Espagne - avantageuse pour la France: elle recevait l'Artois et le Roussillon - est scellée par le mariage du roi et de l'infante Marie-Thérèse d'Espagne en 1660 à Saint-Jean-de-Luz. À la mort de Mazarin, en mars 1661, les fondements de la puissance de Louis le Grand sont en place.
L'État du royaume après Mazarin
Malgré les guerres et la Fronde, la France de 1661 apparaît comme un pays riche de ses hommes et de leur travail.
Démographie
Avec près de 20 millions d'habitants, elle est la première puissance démographique européenne. Mais la vie y reste fragile, et la mortalité forte: sur deux enfants nés, un seul parvient à l'âge adulte. Parfois le tribut versé à la mort se fait plus lourd encore. Les crises démographiques - celle de 1661-1664, au moment de l'avènement, celle de 1693-1694, ou encore le tragique hiver 1709-1710 -, provoquées par les famines, la cherté du grain due aux mauvaises récoltes et aux intempéries, les épidémies, constituent l'envers douloureux du décor louis-quatorzien. Mais, après les crises, la récupération s'effectue rapidement, et les misères ne sévissent pas toujours de la même manière dans les provinces. Le pays, qui a satisfait aux lourdes exigences fiscales de Richelieu puis de Mazarin, peut encore supporter le poids des guerres de Louis XIV.
Économie
La richesse de la France, principalement agricole, profite davantage aux rentiers du sol - seigneurs et clergé - qu'à la paysannerie (85 % de la population), qui pratique une agriculture vivrière, céréalière pour l'essentiel, profondément dépendante du milieu naturel et souffrant de lourds handicaps (peu ou pas d'engrais, bétail réduit, échanges médiocres). Quant au commerce extérieur, il connaît un essor assez général au XVIIe siècle, qui s'accélère dans les années 1660, sous la houlette de Colbert, et qui contribue à stimuler une industrie rurale, notamment textile. Seconds par rapport à l'agriculture, commerce extérieur et industrie n'en sont pas pour autant secondaires. Leur développement prépare, malgré les guerres et les difficultés liées à la récession générale du XVIIe siècle, la croissance du siècle suivant.
L'absolutisme
Le lendemain de la mort de Mazarin (10 mars 1661), Louis XIV réunit son Conseil pour annoncer qu'il gouvernera désormais seul, sans Premier ministre. Cette déclaration - qu'il évoquera dix ans plus tard dans ses Mémoires pour l'instruction du Dauphin - constitue un acte politique majeur; elle annonce la refonte complète du système de gouvernement, la «maxime de l'ordre» que le roi entend mettre en oeuvre.
Le Conseil royal
Louis commence par épurer le Conseil royal. Il n'y souffre plus qu'un personnel gouvernemental réduit, dont certains «fidèles serviteurs» légués par Mazarin, entourés de quelques commis spécialisés. On y retrouve ainsi le chancelier Séguier - dont l'autorité est diminuée -, le secrétaire d'État à la Guerre, Michel Le Tellier, le secrétaire d'État aux Affaires étrangères, Hugues de Lionne, et le surintendant des Finances, Nicolas Fouquet. Ce dernier, trop riche et trop puissant, est très vite évincé par Colbert, qui le jalouse depuis longtemps. Son arrestation, le 5 septembre 1661, est suivie, quelques jours plus tard, de la suppression de la charge de surintendant et de la création d'un conseil des Finances placé sous la houlette de Colbert, qui devient contrôleur général en 1665. La triade Le Tellier-Lionne-Colbert siège avec le roi au Conseil d'en haut (le plus important) et prend en charge le rétablissement de l'ordre pendant les onze années de paix - si l'on excepte la «promenade militaire» de la guerre de Dévolution, en 1667-1668 - qui ouvrent le règne personnel de Louis XIV. Colbert cumule les fonctions - surintendance des Bâtiments, Arts et Manufactures en 1664, secrétariat d'État à la Marine et à la Maison du roi en 1669 -, mais la diplomatie et l'armée restent hors de son influence. Le roi veille en effet à diviser pour mieux régner.
Le «règne de la vile bourgeoisie»
Tout au long du règne de Louis XIV, le personnel ministériel restera relativement stable, le roi favorisant l'ascension de deux ou trois dynasties, parfois concurrentes, de serviteurs fidèles qui se succèdent aux divers postes de gouvernement: les Le Tellier-Louvois, les Colbert, secondairement les Phélypeaux. Le Tellier associe son fils Louvois à son ministère dès 1662, et lui cède son poste lorsqu'il est appelé à la chancellerie en 1677; Colbert s'adjoint son fils, le marquis de Seignelay, à la Marine. Tous ces hommes, qui doivent leur puissance au roi, sont issus de familles de la bourgeoisie marchande ou financière anoblies récemment; ils incarnent aux yeux d'une aristocratie qui tend à les mépriser le «règne de la vile bourgeoisie» (l'expression est de Saint-Simon).
Instauration de l'ordre
Louis XIV écrit dans ses Mémoires, avec quelque exagération, que «le désordre régnait partout» à l'intérieur de son royaume au moment de son avènement. Le contrôle des corps intermédiaires de l'État, la surveillance de l'administration provinciale, la domestication de la noblesse s'imposaient donc. Très vite, les cours souveraines sont réduites à l'obéissance, les parlements doivent enregistrer les édits sans délibération ni vote (1665). L'assemblée du clergé est étroitement contrôlée, la noblesse matée. Les gouverneurs de province, traditionnellement choisis dans la haute noblesse, n'occupent plus qu'une charge honorifique et doivent résider à la cour; ils sont remplacés sur le terrain par des lieutenants généraux, de plus petite noblesse. Dans les zones de turbulences, comme l'Auvergne, le roi fait envoyer une commission extraordinaire du parlement de Paris pour juger et punir le brigandage des seigneurs (Grands Jours d'Auvergne, 1665-1666). Quant à Paris - ville aux brûlantes séditions, dont le roi se méfie au point de n'en pas faire sa capitale -, elle est placée, en 1667, sous la juridiction d'un lieutenant général de police chargé du maintien de l'ordre, de la surveillance des moeurs et de l'approvisionnement régulier. L'institution des lieutenants de police, qui fait ses preuves, sera généralisée aux grandes villes du royaume en 1699.
Administration et répression
Dans cette oeuvre de maintien de l'ordre, les intendants de justice, police et finances, choisis par le roi en son Conseil et toujours révocables, occupent une place essentielle. Pour les besoins de la grande enquête de 1664, qui marque la naissance de la description statistique en France, Colbert leur assigne un rôle d'informateurs. À partir des années 1680, ils deviennent des administrateurs permanents dans les généralités, où ils apparaissent véritablement comme «l'oeil et le bras du roi»; ainsi le renforcement de la monarchie administrative, entamé à l'époque de Richelieu, est-il parachevé. L'encadrement autoritaire frappe également le peuple, dont les révoltes, soubresauts désespérés contre la misère ou contre l'impôt, se font moins nombreuses. Lorsqu'elles surviennent - dans le Boulonnais en 1662, dans le Vivarais en 1670, en Bretagne en 1675 -, elles sont impitoyablement réprimées.
Réforme de la législation
La volonté de réorganisation méthodique et d'uniformisation administrative du royaume conduit à une importante réforme de la législation, illustrée par la rédaction de six grands codes, dont l'ordonnance civile ou Code Louis (1667), l'ordonnance des eaux et forêts (1669), base de notre actuel droit forestier, l'ordonnance criminelle (1670), l'ordonnance coloniale ou «Code noir» (1685), qui réglemente la traite des Noirs dans le trafic triangulaire. Mais la mise en oeuvre de ces textes se fait lentement, et les imperfections d'un système administratif complexe subsisteront jusqu'à la fin du règne, malgré les efforts centralisateurs de l'État.
La cour
Sans doute le règne de Louis XIV porte-t-il la vie de cour à son point de perfection. Régie par une stricte étiquette, fréquentée par une foule toujours plus nombreuse de courtisans avides de pensions, d'honneurs et de royale reconnaissance, la cour apparaît comme un instrument de règne, le moyen de domestiquer la noblesse. Le culte monarchique y est célébré quotidiennement, du lever au coucher du souverain; tout y est ritualisé, de manière à mettre en valeur le faste, la puissance et le caractère sacré de Louis le Grand. Les fêtes somptueuses de la première partie du règne personnel, au service desquelles Molière ou Lully mettent tout leur talent, contribuent également à cette célébration.
L'importance de la vie de cour se traduit par le développement des services de la Maison du roi: l'Aumônerie, la Chambre du roi, la Garde-Robe, la Grande et la Petite Écurie, la Bouche, la Vénerie. À leur tête sont placés les représentants de la plus haute noblesse, lesquels, dépourvus de réels pouvoirs politiques, se trouvent dans une étroite dépendance morale et financière vis-à-vis du monarque: le roi dispense les revenus nécessaires à la «tenue du rang» et au paiement des dettes de jeu...
Les courtisans
De cet attachement obligé, il reste maints témoignages. «Sire, loin de vous on n'est pas seulement malheureux, on est ridicule», affirme le marquis de Vardes. Le duc de Richelieu, neveu du cardinal, lui fait écho: «J'aime autant mourir que d'être deux ou trois mois sans voir le roi!» Ces déclarations, pour excessives et flagorneuses qu'elles soient, montrent le sens politique de Louis XIV, son art de la représentation du pouvoir pour susciter l'obéissance. On comprend à quel point un courtisan disgracié pouvait ressentir durement son éloignement de la cour - fût-il un esprit fort comme le comte de Bussy-Rabutin, auteur d'une Histoire amoureuse des Gaules qui n'eut pas l'heur de plaire au roi.
Les Mémoires de la Princesse Palatine, celles de Saint-Simon, les relations de diplomates comme Primi Visconti ou le Prussien Spanheim témoignent de ce rôle politique de la vie de cour, mais aussi de l'exploitation de la vanité humaine et de la dictature des apparences qui la caractérisent.
Versailles
Versailles forme bien entendu l'écrin de cette vie de cour, quoique le roi ait aimé et embelli d'autres résidences, comme Marly. L'ancien rendez-vous de chasse de Louis XIII devient, au prix de longs travaux, la nouvelle capitale du royaume à partir de 1682. Les architectes Le Vau et Mansart, Le Nôtre pour les jardins et Le Brun pour les décors s'y illustrent; ils sont les meilleurs ambassadeurs de la gloire et de la puissance du Roi-Soleil hors des frontières du royaume. Mais cette politique de magnificence suscite des réticences au moins chez l'un des serviteurs du roi, Colbert.
La politique selon Louis XIV
Une politique extérieure de prestige
Sous la plume de Louis XIV, les termes les plus fréquents sont «ma dignité», «ma gloire», «ma grandeur», «ma réputation». Ces préoccupations annoncent une politique extérieure ambitieuse, qui suppose des finances et une économie en ordre; en un mot: un roi de France riche dans un royaume riche. Colbert consacrera toute son énergie à donner à son souverain les moyens d'une telle ambition. Il réalise l'essentiel de son oeuvre avant 1672; après, les résultats de sa politique, menée dans un contexte séculaire de crise et de disette monétaire, seront remis en cause par la priorité accordée au «dehors» - à la guerre.
Le rôle de Colbert
Le premier objectif de Colbert consiste à rétablir l'équilibre du budget, grâce à une réduction des charges et à un meilleur rendement de la fiscalité. En dix ans, il réalise une économie de plusieurs millions de livres en diminuant ou en annulant les rentes et les intérêts des emprunts d'État contractés sous Richelieu et Mazarin. Il supprime et rachète un certain nombre d'offices afin d'économiser sur le versement de leurs gages. Après l'éviction du surintendant Fouquet et la liquidation de son clan, Colbert fait se tenir une Chambre de justice (1662-1669), juridiction chargée de rechercher et de punir les malversations des gens des Finances. Le Trésor parvient ainsi à se faire rembourser une centaine de millions de livres.
Colbert s'applique méthodiquement non à réformer en profondeur un système fiscal injuste, mais à en accroître les recettes. S'il diminue la taille personnelle - qui avait fortement augmenté depuis 1635 -, il fait la chasse aux privilèges indus, notamment à l'exemption d'impôt des faux nobles, et veille à restaurer les revenus du domaine royal. Les résultats ne se font pas attendre: dès 1662, le budget présente un excédent, situation qui se maintiendra jusqu'au début de la guerre de Hollande, en 1672. En dix ans, les revenus de l'État font plus que doubler.
Le budget menacé
Mais la politique de prestige du roi contribuera à ruiner ces efforts. Les années 1670 voient revenir le déficit budgétaire, qui devient ensuite la règle. Les anticipations permanentes des dépenses rendent de plus en plus vaine la tenue d'un véritable budget. Pour financer une politique extérieure agressive, ainsi que les travaux du roi et la cour, Colbert doit à nouveau augmenter les impôts directs et indirects, et recourir aux expédients, ou «affaires extraordinaires», comme les ventes d'offices, l'aliénation du domaine royal, les emprunts aux particuliers, les taxes. En 1680, la création de la Ferme générale permet au Trésor de toucher à l'avance, et en bloc, les revenus des impôts indirects - qui sont affermés, c'est-à-dire concédés contre redevance forfaitaire à soixante fermiers généraux. Mais le système aggrave l'arbitraire de leur perception. Avec quelque amertume, après vingt années de service et déjà dans une semi-disgrâce, Colbert s'adresse ainsi au roi en 1681: «À l'égard de la dépense, quoique cela ne me regarde en rien, je supplie seulement V.M. de me permettre de lui dire qu'en guerre et en paix elle n'a jamais consulté ses finances pour résoudre ses dépenses.» Ce respectueux rappel sonne désagréablement aux oreilles d'un monarque redouté dans toute l'Europe et alors au faîte de sa gloire.
Le colbertisme
La réorganisation financière tentée par Colbert n'a de sens que dans le cadre d'une politique économique globale. Comme nombre de ses contemporains, Colbert pense que la quantité de métal précieux en circulation dans le monde est à peu près constante. La richesse et la puissance d'un État se mesurant à la quantité de numéraire possédé, il s'agit donc, par une politique appropriée, d'attirer et de retenir à l'intérieur du royaume le plus de métal précieux possible: cela revient à acheter peu à l'extérieur - à importer peu - et à exporter beaucoup. Le colbertisme n'est ainsi qu'un avatar du mercantilisme, doctrine répandue depuis le XVIe siècle dans nombre de pays d'Europe.
Le développement des manufactures aux productions prestigieuses - comme celle des Gobelins (créée en 1667), qui fabrique des tapisseries de haute lisse, ou la manufacture Van Robais (installée en France en 1665, à la demande de Colbert), qui produit des draps fins - et la volonté de réglementer les activités des corporations urbaines sont à replacer dans cette perspective. L'importance du commerce extérieur explique l'attention accordée au développement de la flotte et des ports; elle justifie la mise en place de compagnies de commerce pour mieux tirer profit des «îles à sucre» (les Antilles) et des «terres à épices», et bénéficier des échanges actifs en Méditerranée ou dans la Baltique. À l'inverse, pour protéger les productions françaises de la concurrence britannique et hollandaise, des tarifs douaniers prohibitifs sont mis en place en 1664 et 1667. Une véritable «guerre d'argent» est ainsi enclenchée. Quand le conflit éclate avec la Hollande, en 1672, les ambitions de Louis XIV rencontrent donc les aspirations de son ministre, fort désireux d'abaisser les Provinces-Unies, qualifiées de «république de marchands de fromages».
Une Europe au ralenti
Le demi-échec de Colbert, illustré après 1675 par la disparition de plusieurs manufactures et la liquidation de certaines compagnies de commerce, n'est pas à imputer entièrement à la politique de magnificence de Louis XIV. La dépression générale qui touche l'Europe, l'indifférence des détenteurs de capitaux envers les manufactures et le grand commerce maritime, la puissance redoutable du commerce anglais et hollandais constituent de puissants freins aux ambitions françaises. Toutefois, l'essor des régions littorales représente une réussite riche de promesses.
Louis XIV et la religion
L'Église et l'État
La jeunesse de Louis XIV - qui rit au Tartuffe de Molière, quand les dévots le décrient violemment - donne l'image d'un souverain modérément pieux. Dans la force de l'âge, il affichera davantage sa piété. Pourtant, il ne fait pas de doute que très tôt, Louis XIV avait compris l'importance de la gloire chrétienne et de l'obéissance religieuse pour son métier de roi. L'absolutisme repose clairement sur une monarchie de droit divin, fortement théorisée par Bossuet dans sa Politique tirée de l'Écriture sainte. Soucieux de défendre l'unité de foi de son royaume, attentif à préserver son autorité sur l'Église de France, Louis XIV n'hésite pas à s'opposer à la papauté, ni à lutter contre jansénistes et protestants.
Contre le jansénisme
L'association étroite entre l'Église et l'État fait de toute «hérésie» une dissidence séditieuse. À son avènement, le roi est déjà très hostile aux jansénistes - ces «calvinistes rebouillis» comme les appelle Mazarin -, dont le loyalisme et «l'esprit de nouveauté» lui paraissent suspects. Pour réduire ces catholiques austères et pessimistes à l'obéissance, le Conseil du roi exige en avril 1661 la signature par les prêtres, les religieux et les religieuses d'un formulaire désavouant la doctrine janséniste. L'opposition à ce formulaire rencontre un écho même au sein de l'épiscopat, pourtant traditionnellement bien contrôlé par la monarchie, qui a coutume d'y placer ses fidèles. En 1668, la paix de l'Église met provisoirement fin aux controverses publiques, mais ne règle rien sur le fond.
Jusqu'à l'expulsion des religieuses et à la destruction du couvent en 1709-1710, Port-Royal-des-Champs constitue le foyer de rayonnement de la doctrine de l'évêque Jansénius, et surtout du «second jansénisme», inspiré des thèses du père oratorien Quesnel. Inquiet et toujours aussi hostile, Louis XIV obtient du pape une condamnation du jansénisme (bulle Unigenitus, 1713) qui suscite aussitôt une vive opposition en France. La querelle, qui n'est pas éteinte à la mort du roi, agitera encore les esprits au XVIIIe siècle.
Louis XIV et la papauté
Dans les années 1690, le roi vieillissant pourra escompter de Rome un certain soutien à sa politique religieuse. Mais, auparavant, l'affirmation de son indépendance lui vaut de vifs conflits avec le pape. L'affaire de la régale, en 1673, en est l'un des plus sérieux: pour des raisons fiscales, le roi décide d'étendre à l'ensemble du royaume son droit, jusqu'alors limité, d'administrer les revenus des diocèses en cas de vacance du siège épiscopal. L'intransigeance du pape Innocent XI lui permet d'exploiter le gallicanisme du clergé de France. Avec la déclaration dite «des Quatre Articles», l'assemblée du clergé de 1682 proclame la supériorité du concile sur le pape, la nécessité de défendre les «libertés gallicanes» et l'indépendance absolue du roi envers Rome. Avec la mort d'Innocent XI, en 1689, la fin du conflit peut être envisagée; une réconciliation, souhaitée par Versailles, s'amorce.
La révocation de l'édit de Nantes
Les protestants ont également à souffrir de l'autoritarisme de Louis le Grand. Dans ses Mémoires, le roi affirme vouloir maintenir la tolérance envers les réformés dans les «plus étroites bornes» permises par l'édit de Nantes (1598), revu par celui d'Alès (1629). Malgré le loyalisme des huguenots pendant la Fronde, le protestantisme - minoritaire mais représenté dans tous les milieux, de la haute noblesse à la paysannerie - reste en effet une anomalie aux yeux de la plupart des catholiques, qui croient à l'unité de foi du royaume.
La période 1661-1679 voit l'application restrictive de l'édit de Nantes. Cependant, la multiplication des tracasseries et des vexations ne ramène au catholicisme que quelques milliers de convertis. De 1679 à octobre 1685, quand est signé l'édit de Fontainebleau - qui révoque celui de Nantes -, la politique de Louis XIV se durcit. En vérité, le roi a besoin d'apparaître comme le champion du catholicisme à l'heure où l'empereur Léopold Ier vient de défaire les Turcs assiégeant Vienne (1683), ce qui lui a procuré un immense prestige en Europe. En outre, depuis la guerre de Hollande, Louis se heurte à la coalition des puissances protestantes (Angleterre, Provinces-Unies), traditionnels soutiens des huguenots français. Enfin, Colbert, partisan de la tolérance, car il connaît le poids des réformés dans l'économie du royaume, meurt en 1683. Il laisse le champ libre au clan Le Tellier-Louvois, adepte de la manière forte. Progressivement vidée de toute substance par les interdits, la «république protestante» succombe aux dragonnades, lancées en 1680 dans le Sud-Ouest, qui provoquent des centaines de milliers de conversions forcées. Presque tout le monde applaudit, sauf Vauban. Un monarque absolu peut-il être le maître des consciences?
L'exode des protestants
Quoi qu'en disent les thuriféraires du souverain, les effets de ce despotisme religieux sont éminemment discutables. La révocation de l'édit de Nantes, en 1685, fait perdre au royaume environ 200 000 réformés: ils partent enrichir l'Europe protestante. Le «refuge huguenot» de Hollande contribue à la diffusion d'une virulente propagande hostile à Louis XIV. En outre, sur le plan diplomatique, la France s'aliène les puissances protestantes, sans être certaine du ralliement des catholiques - compte tenu de sa politique expansionniste. La résistance passive des «nouveaux convertis» et plus encore la révolte des camisards dans les Cévennes (1702-1705), en pleine guerre de la Succession d'Espagne, montrent que le fait protestant est irréductible. Il faudra attendre 1787 pour que revienne la tolérance.
Louis XIV, roi guerrier
«J'ai trop aimé la guerre», avoue le roi sur son lit de mort. De 1661 à 1715, on compte seulement vingt-trois années de paix, pour trente et une années de guerres. La véritable motivation du roi - au-delà du renforcement des frontières du royaume, de la défense du catholicisme, voire de la lutte contre les ambitions espagnoles - est la volonté d'affirmer et d'accroître la suprématie française en Europe. Louis le Grand se croit et se veut le monarque le plus puissant de la Terre, comme le proclame sa devise: Nec pluribus impar (« Non inégal à plusieurs [soleils] »).
Réorganisation des armées
Le roi a le goût des armes: il aime passer en revue ses troupes, n'hésite pas à paraître à la tête de ses armées - comme lors des sièges de la guerre de Dévolution. Il bénéficie du concours de ministres, de chefs militaires et d'ingénieurs brillants, du moins dans la première partie de son règne. Turenne, conseiller écouté jusqu'à sa mort, en 1675, et le Grand Condé, qui disparaît en 1686, sont deux des plus grands hommes de guerre de l'époque. La réorganisation des troupes, sous l'égide de Le Tellier puis de son fils Louvois, donne à Louis XIV la première armée européenne, les moyens militaires de sa volonté de gloire: les effectifs augmentent rapidement, passant de 72 000 hommes en 1667 à plus de 200 000 en 1680; la discipline est renforcée, l'entretien des soldats amélioré (magasins de vivres pour éviter les pillages; construction d'hôpitaux militaires; hôtel des Invalides créé en 1674), l'armement modernisé (généralisation du fusil et de la baïonnette, grenades); l'artillerie devient un corps spécialisé. En 1672, Vauban, commissaire général aux fortifications, est mis à la tête du Génie. En quarante ans, il dirige avec succès une cinquantaine de sièges et fortifie sur le pourtour du royaume près de 300 places. «Ville assiégée par Vauban, ville prise; ville fortifiée par Vauban, ville imprenable», disait-on alors.
Enfin, même s'il n'a guère le pied marin, le roi soutient Colbert et son fils Seignelay dans leurs efforts pour donner au royaume une marine capable de rivaliser avec les Hollandais et les Anglais. Et, jusque dans les années 1690, au coeur de la guerre de la ligue d'Augsbourg, les escadres françaises à l'offensive remportent d'éclatants succès.
Le temps des victoires
Lorsque Louis XIV monte sur le trône, les traités de Westphalie (1648) et des Pyrénées (1659) viennent de donner à la France, alors alliée à l'Angleterre, à la Suède et aux Provinces-Unies, la suprématie sur des adversaires impériaux et espagnols épuisés: «Tout était calme en tous lieux [...]. La paix était établie avec mes voisins vraisemblablement pour aussi longtemps que je le voudrais moi-même», constate-t-il. Dès 1661, le jeune roi manifeste son intention de faire reconnaître à l'Europe entière la prééminence absolue de la couronne de France. En 1661 et 1662, deux querelles de préséance, l'une avec l'ambassadeur d'Espagne au sujet de son rang dans un cortège officiel face à l'ambassadeur de France, l'autre à la cour du pape, donnent la mesure de la superbe royale. Au-delà de ces affirmations symboliques, la véritable suprématie viendra des armes.
Des revendications territoriales
La mort, en 1665, de Philippe IV d'Espagne, auquel succède le chétif Charles II, est l'occasion pour Louis XIV de revendiquer une partie de l'héritage espagnol au nom de la reine de France Marie-Thérèse, fille de Philippe IV et petite-fille, par sa mère, de Henri IV. Après avoir envahi sans difficulté les Pays-Bas espagnols et mené une brillante campagne, le roi obtient au traité d'Aix-la-Chapelle (1668) onze places du Nord, dont Lille, qu'il s'empresse de faire fortifier par Vauban.
La France, arbitre de l'Europe
Mais cette avance française inquiète les Provinces-Unies, alors première puissance économique d'Europe et bientôt considérées comme l'adversaire à abattre. Dès 1667, la guerre commerciale avait éclaté, spécialement tournée contre la Hollande, avec l'adoption d'un tarif douanier frappant lourdement les importations étrangères. Après quatre années de préparation diplomatique et militaire, Louis XIV attaque puis envahit les Provinces-Unies, qui résistent opiniâtrement et réussissent à coaliser contre la France l'Empire, l'Espagne et la Lorraine. En 1678-1679, la paix de Nimègue consacre la victoire française sur terre et sur mer: l'Espagne doit céder la Franche-Comté et plusieurs villes des Flandres, du Hainaut et de l'Artois; le royaume de Louis dispose ainsi désormais d'une frontière continue au nord-est. Dans le même temps, la France consolide son emprise sur l'Alsace, face à l'Empire. Louis XIV, qui défend la Suède contre le Brandebourg, en 1679, apparaît comme l'arbitre de l'Europe. Pourtant, il n'a pas tiré une vengeance éclatante de la Hollande, qui est sortie de la guerre certes épuisée, mais libérée du tarif douanier de 1667.
L'intégration des territoires conquis
Après 1679, le roi poursuit son avantage en exploitant toutes les ambiguïtés des traités permettant le rattachement à la France de dépendances des territoires acquis récemment. Cette politique de «réunions», illustrée en 1681 par la capitulation de Strasbourg, jusqu'alors ville libre, inquiète les puissances européennes, qui commencent à nouer des alliances. La poussée turque sur Vienne détourne un moment l'attention vers les confins orientaux de la chrétienté menacée, mais la victoire du Kahlenberg (1683), acquise sans participation de Louis XIV, illustre la puissance et le prestige retrouvés des Habsbourg. Peu soucieux de prendre la tête d'une sainte ligue contre les Turcs, Louis a risqué l'isolement de son royaume. En 1684 pourtant, avec la trêve de Ratisbonne, l'Espagne et l'Empire reconnaissent à la France la jouissance de ses réunions pour une durée de vingt ans. C'est le point culminant de l'expansion française, «l'apogée de ce règne», dira Saint-Simon.
Les revers de la guerre
Contre la ligue d'Augsbourg
Quatre ans après Rastibonne, la guerre de la ligue d'Augsbourg éclate. Louis XIV avait en effet fait valoir dès 1685 ses revendications sur le Palatinat (la Princesse Palatine, épouse de Monsieur, était la soeur de l'Électeur défunt), fait élire son candidat comme archevêque de Cologne en 1687 et révoqué l'édit de Nantes en 1685: autant de provocations à l'égard des Impériaux, et de maladresses vis-à-vis des puissances protestantes. L'essor du commerce colonial et maritime français suscite en outre, en Angleterre, le mécontentement du monde des affaires et du Parlement, de plus en plus hostile au roi catholique Jacques II Stuart, allié de Louis XIV. Lorsque, à l'automne 1688, les armées françaises envahissent Cologne et dévastent le Palatinat, le Roi-Soleil s'engage dans une partie difficile. Il se trouve face à la ligue d'Augsbourg, laquelle réunit depuis 1686 l'empereur, de nombreux princes d'Empire, les souverains d'Espagne et de Suède, que rejoint en 1688 Guillaume d'Orange, le chef des Provinces-Unies, qui deviendra roi d'Angleterre à l'issue de la «glorieuse révolution» en 1689. L'équilibre des forces fait durer longtemps ce conflit, au cours duquel la France traverse la grave crise démographique de 1693-1694. Pour sauver l'essentiel, Louis XIV, qui n'a pas été véritablement vaincu, rend les «réunions» aux traités de Ryswick (1697), mais conserve Strasbourg et obtient la vallée de la Sarre.
Un Bourbon sur le trône d'Espagne
Quoique épuisée, la France peut amorcer un redressement assez rapide au cours des quelques années de répit qui suivent, et ce dans une conjoncture cependant très médiocre. Mais la mort de Charles II d'Espagne, en 1700, pose une nouvelle fois la question de l'équilibre européen et conduit à la guerre la plus difficile du règne. La santé déclinante de Charles II, roi sans postérité, avait aiguisé les convoitises des diverses puissances sur l'immense Empire espagnol (Espagne, Pays-Bas, Amérique, Milanais, Naples, Sicile...). En 1698, un traité de partage de la succession d'Espagne avait été signé entre la France, l'Angleterre et les Provinces-Unies, où Louis faisait preuve de modération en envisageant l'octroi au Grand Dauphin de seulement quelques territoires. Mais Charles II ne reconnut pas ces partages et, pour éviter le démembrement de ses possessions, choisit comme unique héritier, en octobre 1700, le second petit-fils de Louis XIV, Philippe, duc d'Anjou, à condition qu'il renonçât au trône de France. Louis XIV devait-il accepter le testament du roi d'Espagne, au risque de déclencher une nouvelle guerre? Les considérations dynastiques, le désir de voir un Bourbon sur le trône espagnol et de mettre fin au vieil encerclement des Habsbourg l'emportèrent.
Coalition contre la France et l'Espagne
L'aspiration à la paix des peuples d'Europe, éprouvés par tant de conflits, retient sans doute l'Angleterre et les Provinces-Unies, qui reconnaissent l'héritier désigné par Charles, Philippe V. Mais les provocations de Louis XIV conduisent très vite à la guerre généralisée. Au début de l'année 1701, il fait proclamer le maintien des droits de Philippe V à la couronne de France. Plus inquiétant pour les intérêts du bloc anglo-hollandais, alors en pleine compétition impérialiste, la France se fait accorder des privilèges importants dans les colonies espagnoles. Au printemps de 1702, toutes les puissances européennes, grandes ou petites, réunies dans la Grande Alliance de La Haye, déclarent la guerre à la France et à l'Espagne.
Après quelques succès initiaux, Français et Espagnols subissent de nombreux revers. Cette fois, la coalition aligne des chefs militaires de valeur, comme l'Anglais Marlborough ou le prince Eugène de Savoie, face à un Villars dont le talent n'égale pas celui de Turenne ni celui du Grand Condé. Après 1704, la liste des défaites s'allonge; 1708, l'une des plus sombres années, avec la chute de Lille, voit revenir le spectre de l'invasion. Le terrible hiver de 1709 aggrave la situation d'un royaume que les impôts écrasent et que menace la famine. Décidé à traiter, le roi ne peut cependant accepter les trop lourdes exigences des coalisés: destruction de Dunkerque, perte des villes du Nord, de Strasbourg et de l'Alsace et, surtout, aide militaire de la France pour chasser Philippe V du trône d'Espagne.
L'heure des traités
Désormais arc-boutées sur la ceinture de fer de Vauban, les armées françaises tiennent à peu près le sol national; la victoire de Villaviciosa sur les Anglo-Autrichiens, en 1710, et surtout la lassitude de l'opinion publique anglaise rendent enfin possibles les négociations de paix. Les tergiversations de l'Empire et des Pays-Bas laissent même le temps à la France de remporter la victoire de Denain (1712), grâce à quoi elle obtient des conditions inespérées: Louis XIV signe les traités d'Utrecht (1713) et de Rastatt (1714), aux termes desquels l'Espagne perd ses possessions italiennes (Milanais, Naples, Sicile) et les Pays-Bas, mais Philippe V reste roi. La France doit restituer plusieurs villes flamandes, mais conserve ses frontières de 1697. Elle abandonne Terre-Neuve, la baie d'Hudson, l'Acadie, prélude à la perte totale du Canada (1763). L'Angleterre triomphe; elle obtient maints avantages économiques qui vont lui assurer la primauté coloniale et maritime.
En 1661, la prépondérance française s'imposait à l'Europe; en 1714 est venu le temps de l'équilibre européen entre l'Angleterre, l'Autriche et la France d'un très vieux roi.
Bilan d'un règne contrasté
La France de 1715 sort territorialement agrandie des guerres de Louis XIV, mais ses finances sont exsangues. La fin du règne, marquée par les deuils royaux (des descendants du roi, seul subsiste un arrière-petit-fils né en 1710), sombre dans la tristesse. L'Examen de conscience d'un roi (1711), oeuvre de l'évêque Fénelon, les rapports des intendants, les mémoires des curés dressent le tableau d'un royaume désolé et d'une effroyable misère paysanne. Dans les campagnes et dans les ports, des forces préparent pourtant le retour de l'expansion. Au-delà de la vie difficile de 20 millions de Français, que reste-t-il d'un si long règne?
Le temps des académies
Le siècle de Louis XIV est identifié au rayonnement de la civilisation française, au triomphe du classicisme dans les lettres (Boileau, l'Art poétique, 1674), dans les arts figuratifs et dans l'architecture, même s'il faut rappeler que tous les grands esprits de l'époque ne sont pas français (Locke, Leibniz, Spinoza), et que le baroque trouve à s'épanouir ailleurs, en Autriche ou en Espagne. La politique de grandeur du roi s'est accompagnée d'une politique prestigieuse de mécénat, dans la droite ligne de celle pratiquée par Richelieu et Mazarin: Corneille, Molière, Racine, Lully, les peintres Le Brun et Mignard, Mansart, pour ne citer que ces noms-là, illustrent la dévotion pour le «beau» et l'intensité créatrice de l'époque. Les Académies - de peinture et sculpture, 1655; des inscriptions, 1663; des sciences, 1666; d'architecture, 1671 -, créées à l'imitation de l'Académie française, constituent des foyers d'élaboration des règles classiques et de rayonnement d'un art officiel tout entier tourné vers le gloire monarchique.
Vers une critique du pouvoir
Le «siècle de Louis XIV» - expression forgée par Voltaire - désigne aussi un modèle politique. Quand il meurt, le 1er septembre 1715, le vieux roi laisse à la France une solide armature administrative, fortement centralisée. Son image de grandeur militaire, dynastique, politique est enviée par de nombreux souverains; pourtant, son mépris des contingences financières et l'aveuglement auquel l'orgueil le conduisit parfois altérèrent cette image vers la fin de sa vie. Dans une sphère aristocratique limitée, l'absolutisme est critiqué. La réaction aristocratique, animée notamment par Fénelon (les Tables de Chaulnes, 1711), fera de la Régence une monarchie contrôlée par les états généraux et les corps. À la fin du règne également, le dirigisme de Colbert n'est plus épargné ni par les négociants ni par les partisans du libéralisme (Boisguilbert), et Vauban, disgracié, pointe durement les inégalités du système fiscal (Projet d'une dîme royale, 1707). Les temps de l'obéissance absolue ne sont pas totalement révolus, mais la persistance des tensions religieuses, l'essor de la curiosité scientifique, la vulgarisation du rationalisme cartésien (Fontenelle, Pierre Bayle) nourrissent la montée d'un esprit critique promis à un bel avenir.
Le classicisme français
Le siècle de Louis XIV est marqué par la prédominance du classicisme, que la volonté royale impose dans tous les domaines. Pour la réalisation de la colonnade du Louvre, le Roi-Soleil préférera au projet baroque - pourtant relativement assagi - du Bernin la rigueur d'un Claude Perrault. Versailles, dont les travaux se poursuivront pendant presque tout le règne (puis au-delà), sera regardé comme un modèle à la fois de grandeur et de «bon goût», imité à travers toute l'Europe.
Après la disgrâce de Fouquet, «ses» artistes, qui ont travaillé à Vaux-le-Vicomte, mais aussi au château de Saint-Mandé (détruit depuis) - Le Vau, Le Brun, Le Nôtre, mais aussi le sculpteur Puget -, oeuvreront pour la plus grande gloire du roi; Molière sera chargé des divertissements royaux (seul La Fontaine, fidèle au surintendant, sera tenu à l'écart de la faveur royale, même si, auteur classique par excellence, il contribue largement à la défense d'une esthétique voulue par le roi). Mécène complet, Fouquet avait sa propre manufacture de tapisserie, dirigée par Le Brun, à Maincy: Louis XIV saisit tant les oeuvres que les artisans et confie à Le Brun l'organisation de la manufacture royale des Gobelins, qui produira, outre des tapisseries, des meubles et des pièces d'orfèvrerie, et contribuera à orienter le style des arts décoratifs en général.
Les arts sont par ailleurs soumis aux normes établies par l'Académie royale de peinture et de sculpture, voulue par Mazarin à l'exemple de l'Académie française, qui, elle, régit les lettres, depuis sa création par Richelieu en 1634.
Les salons
Les salons, à l'imitation de celui de la marquise de Rambouillet, se développent considérablement: on aime à s'y rencontrer entre gens de goût, à discuter les arguments des uns et des autres; on y commente aussi les revues et les journaux - le Journal des savants, la Gazette ou le Mercure -, les pièces de théâtre qui se jouent à l'hôtel de Bourgogne ou au Palais-Royal; on s'y entretient de la nouvelle troupe de la Comédie-Française, fondée aux environs de 1680 par la fusion des diverses compagnies. Et, bien entendu, on y parle aussi de littérature, dont l'idéal classique trouve sa plus grandiose expression sous Louis XIV. Boileau en formule les règles: il faut choisir ses modèles dans l'Antiquité, atteindre à l'universel en s'appuyant sur la raison, contenir les passions brutales par un parfait contrôle de soi. Molière, qui bénéficie de la protection royale, donne ses lettres de noblesse à la comédie, tandis que, dans le domaine de la tragédie, Racine détrône Corneille, et que Mme de Sévigné, Bossuet, La Rochefoucauld, Mme de La Fayette donnent aux lettres françaises des pages parmi les plus brillantes. Vers la fin du règne, La Bruyère et Fénelon, par leur liberté de ton, par leurs attaques contre l'absolutisme, ouvrent une ère nouvelle.
Le roi pensionne largement écrivains et artistes, mais à la condition qu'ils contribuent à sa gloire. Il n'hésite pas à distribuer des pensions aux étrangers, qu'il cherche à attirer en France, où séjourne, par exemple, le physicien hollandais Huygens de 1665 à 1680. La pensée scientifique s'incarne alors dans Descartes, qui vécut avant le règne personnel de Louis XIV mais dont l'influence sera grande, et dans Pascal, deux savants qui se heurtèrent toutefois à l'absolutisme en raison de leur liberté de pensée.
La cour fait grand usage de musique, tant pour la chapelle que pour les divertissements royaux; elle est illustrée par Jean-Baptiste Lully - qui, outre sa collaboration, parfois orageuse, avec Molière pour des comédies-ballets, sera le créateur de l'opéra en France - par François Couperin et par Michel Delalande.
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